Pour des raisons affichées de recherche de taille critique mais en réalité strictement financières, les grandes écoles françaises de management se sont lancées dans une course au volume que rien ne semble arrêter.
L'équation est simple : les coûts en ressources humaines, 60% du budget, ne cessent d'augmenter en raison de la rareté d'enseignants-chercheurs publiant en sciences de gestion. A cela s'ajoute un coût du foncier et de l'immobilier qui ne cesse d'augmenter tandis que les subventions publiques diminuent. Résultat, pour équilibrer leurs comptes, ces établissements augmentent leurs frais de scolarité et leurs effectifs. Ainsi, plus de trente ans après mon intégration, je suis revenu à l'EDHEC pour co-animer, en compagnie de Catherine Champeyrol et de son équipe, un séminaire de rentrée de la promotion 2019 sur le thème de la coopération créative et nous avons dû composer avec la masse : en 1983, nous étions une petite centaine, en 2015 ils sont 737...
Il convient ici de saluer celles et ceux qui ont mis au point cette machine diplômante ô combien complexe. Diffuser un enseignement théorético-pratique homogène sur des promotions aussi nombreuses tout en maintenant le suivi personnel et la possibilité de choix de spécialisations multiples demande une organisation solide et un management cohérent sur la durée. Le secret de l'EDHEC réside sans doute dans la longévité de son dirigeant, Olivier Oger.
Il n'en demeure pas moins que former de telles masses au management en environnement complexe et incertain relève de la gageure. Si l'on y ajoute un changement de paradigme managérial, où l'on privilégiera la coopération et l'innovation, cela devient problématique. Le recours aux Moocs et à l'usage de la classe inversée constitue la piste d'un mix éducatif qui va à l'encontre de nos habitudes empreintes de scolastique magistrale.
C'est la raison pour laquelle je fais partie de ceux qui militent pour la formation par le projet dans le projet, seule solution pour intégrer les connaissances en environnement réel. A ce sujet, l'EDHEC vit un tournant : longtemps réputée pour ses associations quasi professionnelles, si l'écart entre la formation académique et la pratique associative n'est plus tenable, cette spécificité est un gisement de pédagogies actives. Etablir un lien, le valoriser et l'exploiter pourrait relancer une machine qui risque de peiner à faire émerger les singularités dont la société et l'économie ont tant besoin.
Mais cela demande aux étudiants comme aux enseignants-chercheurs et aux cadres administratifs de changer de posture. Un chantier de transformation bien dans l'air du temps...